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Transferts culturels 2015-2016
Pays germaniques
18 mars 2016 - Salle Weil
La « race » entre philologie et anthropologie
Markus Messling (Berlin) : Hard Science - soft science ? A propos de modelages anthropologiques dans la philologie. Le cas du jeune Jean-François Champollion
Ce n’est que de date récente que les disciplines textuelles sont perçues comme des « sciences molles ». Pendant longtemps, les débats sur ce que c’est que l’ « homme » ont eu pour cadre une poétique normative. Avec le mouvement de modernisation des savoirs, ce sont la linguistique et la philologie naissantes qui ont pris en charge l’exploration et l’évaluation du potentiel cognitif des différents groupes humains tel qu’il se manifestait dans les langues, les systèmes d’écriture et les archives textuelles. Si la philologie, étude des cultures au moyen de leurs systèmes symboliques, fut une science modèle (Leitwissenschaft) tout au long du XIXe siècle – surtout en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays – cela n’était pas dû seulement à la modernité de ces méthodes, mais aussi et surtout parce qu’elle apparaissait comme le lieu privilégié de la production du savoir anthropologique nécessaire à l’auto-compréhension des Européens. De ce fait, elle participa à la fois à la construction d’un discours racialiste et à la critique de ce même discours. C’est avec la naturalisation du discours anthropologique vers la fin du siècle, que la philologie perdit en légitimité.
L’œuvre, le parcours et les méthodes du jeune Champollion sont un parfait témoignage du rôle de science « pure et dure » historiquement endossé par la philologie.
Pascale Rabault-Feuerhahn (Paris) : Le laboratoire d’Ernest Renan
Etudier la question de la race chez un auteur est toujours un terrain glissant, tant elle met en jeu la réputation d’un individu comme la porosité entre science et idéologie. Dans le cas d’une personnalité telle qu’Ernest Renan, l’exercice est d’autant plus périlleux que l’on a affaire à une figure toujours considérée comme fondatrice de l’acception moderne de la nation française. Les débats vifs et nombreux qui entourent jusqu’à aujourd’hui l’acception de la « race » dans son œuvre débordent ainsi le cadre académique et sont repris jusque dans des magazines de vulgarisation scientifique.
Cet exposé défendra la thèse selon laquelle, pour arriver à poser un regard dépassionné sur cette question, il est opportun de resituer la notion de « race » développée par Renan dans le contexte plus large de son projet épistémologique. Le « laboratoire » philologique de Renan, comme il aimait à l’appeler, se caractérise en effet par sa dimension foncièrement transdisciplinaire, au carrefour de la philologie, de l’histoire, de la philosophie et de l’ethnographie. Sa pratique de la science est indissociable une réflexion sur la science et ses partages disciplinaires. Dans l’articulation entre les différents ordres du savoir, le concept de « race » joue précisément un rôle clé. Ces problèmes épistémologiques n’évacuent pas la dimension politique de la notion de race, pas plus que celle de la science elle-même. Pour le montrer, nous commenterons la leçon inaugurale de Renan au Collège de France en 1862, qui lui valut d’être exclu de l’institution avant même le début de ses cours. Si les motifs de l’exclusion étaient politiques et religieux, le texte est aujourd’hui davantage attaqué en raison de l’opposition violente qu’il trace entre « races » indo-européennes et sémitiques. Mais ces différents aspects du texte peuvent-ils vraiment être envisagés de manière autonome ?