Accueil > Manifestations > Colloques, journées d’étude > Colloques 2016-2017 > Jalons pour une histoire culturelle multilatérale (2)Déplacements et (...)
Jalons pour une histoire culturelle multilatérale (2)
Déplacements et créations sémantiques Chine - France - Europe
Colloque international
19 - 21 janvier 2017
École normale supérieure, Paris
Salle des Actes
Argumentaire
On a longtemps considéré que la traduction aboutissait à une déperdition du sens des textes ou des concepts qui structurent la réflexion historique dans les sciences humaines. Depuis plusieurs années déjà on s’accorde plutôt à penser que le déplacement des textes et des concepts peut aboutir à un accroissement de leur sens et de toute façon à un déplacement créateur de nouveaux contenus sémantiques. Des termes comme ceux de bourgeoisie, de liberté, de nation, de démocratie, de droit, d’État revêtent des valeurs très différentes selon le contexte dans lequel ils sont employés. La circulation des textes utilisant ces termes doit donc être analysée non comme une simple traduction mais comme une recréation.
La première rencontre de décembre 2015 a permis de délimiter un champ de recherche susceptible de rapprocher des problématiques intra-européennes et des problématiques concernant la culture chinoise dans la longue durée. Ce deuxième colloque permettra d’approfondir le sujet et d’ouvrir sur les questions d’une prochaine rencontre.
Argumentaire détaillé
On a longtemps considéré que la traduction aboutissait à une déperdition du sens des textes ou des concepts qui structurent la réflexion historique dans les sciences humaines. Depuis plusieurs années déjà on s’accorde plutôt à penser que le déplacement des textes et des concepts peut aboutir à un accroissement de leur sens et de toute façon à un déplacement créateur de nouveaux contenus sémantiques. Ce déplacement est observable à l’intérieur de l’ensemble européen lui-même. Geist a un autre sens qu’esprit ou mind. Des termes comme ceux de bourgeoisie, de liberté, de nation, de démocratie, de droit, d’Etat revêtent des valeurs très différentes selon le contexte dans lequel ils sont employés. La circulation des textes utilisant ces termes doit donc être analysée non comme une simple traduction mais comme une recréation. L’usage de Montesquieu ou de Rousseau n’a pas été le même en France et en Allemagne. Le libéralisme de Tocqueville a connu un destin tout aussi bizarre en Chine que la référence structuraliste au maoïsme en France. Il n’est pas d’espace linguistique ou de culture nationale où la référence au marxisme n’ait pris des colorations radicalement différentes de la valeur des concepts dans le contexte allemand primitif. Ce type de phénomène est abordé par une branche des études historiques désignée, en référence à R. Koselleck, comme l’histoire des concepts.
Toutefois l’histoire des concepts reste généralement attachée à un espace national. Il s’agit donc de l’élargir en concentrant l’attention sur leurs modes de circulation.
Ces déplacements ne caractérisent pas moins l’arsenal des termes qui permettent d’élaborer une histoire littéraire, donnant à des notions comme réalisme, naturalisme, symbolisme, romantisme des valeurs profondément hétérogènes selon les cadres dans lesquels elles sont employées que le vocabulaire de l’histoire de l’art où baroque, classicisme recouvrent des valeurs différentes. Le Baudelaire ou le Balzac chinois lus durant la Révolution culturelle s’inséraient dans un réseau de références nouvelles étrangères à celles de l’auteur des Fleurs du Mal. Qu’est-ce qui détermine la lecture des deux derniers prix Nobel de littérature MO Yan et GAO Xingjan dans le contexte français ? En philosophie on sait que le Heidegger allemand n’est pas le Heidegger de Michel Foucault, et on peut s’interroger sur la valeur chinoise du Heidegger de Foucault dans le cadre d’une recherche des effets produits par la circulation qui serait envisagée comme un mode particulier d’herméneutique historique. Pourrait-on comparer un Hegel chinois à un Hegel français ? Imaginer une lecture française du Hegel chinois et inversement ?
Les déplacements sémantiques sont aussi un des objets de la science des religions quand celle-ci s’attache à suivre les diverses étapes d’une traduction du canon bouddhique ou de textes religieux chrétiens en Chine. On pourra de même s’interroger sur la différence entre la resémantisation d’un concept et celle d’un objet (par exemple la valeur des chinoiseries dans le contexte des collections du XVIIIe siècle, la différence de valeur d’un bouddha exposé dans une pagode chinoise ou au musée Guimet).
A vrai dire les déplacements sémantiques produits par des transferts culturels constituent un domaine immense qu’il serait déraisonnable de penser traiter dans le cadre d’une seule rencontre. A travers des exemples choisis on tentera donc de délimiter un champ de recherche qui puisse rapprocher des problématiques intra-européennes et des problématiques concernant la culture chinoise dans la longue durée, qui parvienne à faire de la question des transferts culturels un champ de recherche possible pour des historiens, littéraires, philosophes de France et de Chine au-delà des limites de la simple sinologie. On s’attachera à dégager des règles pertinentes sur le long terme, une sorte de grammaire des formes de resémantisation. L’attention portera tout particulièrement sur le rôle joué par les contextes d’accueil dans la transformation des contenus et sur les données institutionnelles (histoire des sciences humaines). On réfléchira au lien entre continuité et rupture dans la circulation des systèmes conceptuels ou des textes. On s’efforcera de prendre en considération des cas impliquant la Chine sans réduire le propos aux strictes relations franco-chinoises.