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Dernière modification : 26 mars 2018

Censure et style

Colloque international

  Sommaire  

 Argumentaire détaillé

Le colloque se fixe comme finalité d’étudier les relations encore mal déterminées entre la censure et le style, en prenant prioritairement le terme de censure en son sens littéral et juridique mais éventuellement dans ses usages métaphoriques. Longtemps le censeur a été décrit comme un agent dépourvu de sensibilité littéraire : d’une part, il n’accorderait aucune attention à la valeur littéraire des textes poursuivis ; d’autre part, ses examens seraient sans style, soit qu’il use d’un pur langage administratif, soit qu’il se contente de proférer des anathèmes convenus.

Dans La Persécution et l’art d’écrire, Leo Strauss, considérait ainsi comme un « axiome » la proposition suivante : « un écrivain attentif d’une intelligence normale est plus intelligent que le censeur le plus intelligent »(1). Un tel énoncé reprend les attributs d’absurdité, d’illettrisme et d’incompréhension couramment attribués au censeur. Robert Darnton, dans son récent essai De la censure, répond à Strauss : « Rejeter la censure comme une répression grossière exercée par des bureaucrates ignorants est mal la comprendre »(2). À la suite du travail de Darnton, le colloque « Censure et style » se propose de mieux définir les rapports entre la censure au sens juridique et le style.

Les travaux porteront sur deux aspects : d’abord sur le degré de considération que le censeur accorde à la valeur littéraire et l’usage qu’il fait du style dans son analyse censoriale ; ensuite sur le style de la censure : quels sont les lieux et les figures rhétoriques de l’argumentation censoriale. D’autre part, en un sens plus métaphorique, la censure désigne toute forme de contrôle normatif sur le style, par exemple des règles rhétoriques, une ligne éditoriale ou l’appartenance à une école littéraire – autant d’éléments qui contraignent le style d’un écrivain et fonctionnent de manière similaire à une censure. Dans quelle mesure la comparaison paraît-elle judicieuse pour analyser la normativité stylistique ? L’usage « métaphorique » du terme n’est cependant pas toujours métaphorique : la normativité stylistique introduit parfois des considérations éthiques ou sociales dans l’élaboration de ses canons, telle la règle de « bienséance » par exemple.

 

I. La considération que le censeur accorde à la valeur littéraire

A. vu des créateurs, le style déjoue la censure

Dans La Persécution et l’art d’écrire, Leo Strauss soutient que l’art d’écrire entre les lignes permet à l’écrivain de formuler de biais un message qui, exprimé directement, serait inacceptable pour le censeur. De manière plus générale, le style figuré évite la formulation littérale, passe par l’allusion ou l’ironie, en appelle à l’intelligence complice du lecteur. Toute figuralité échappe au sens univoque, suppose une interprétation subjective sans certitude et justifie ainsi les dénégations d’auteurs. Mais, contrairement à ce que suppose Strauss, le censeur est moins inepte qu’il ne le suppose, et se fait volontiers interprète du sens figuré.

 

B. vu des censeurs, les procédés littéraires participent-ils au sens de l’œuvre ?

1. Prendre la mesure des procédés littéraires pour saisir le sens du texte
Contrairement à un texte spéculatif ou injonctif, le texte littéraire ne prétend pas délivrer avant tout un enseignement. Il décrit plus qu’il ne prescrit. Les significations intellectuelles ou morales qu’on peut lui prêter nécessitent un examen des procédés littéraires pour déterminer les interprétations valides ou non : les maximes inconvenantes sont-elles le fait de l’auteur, du narrateur ou d’un personnage ? Quels sont les personnages doués d’héroïsme, et cet héroïsme exerce-t-il une exemplarité et une autorité sur le lecteur ou le spectateur ? La description du mal s’accompagne-t-elle d’une neutralité narratologique, d’une approbation ou d’une désapprobation ? Les censeurs sont conduits à se poser ce type de questions, ou du moins à postuler implicitement des réponses à ces interrogations.

2. Apprécier le style pour mesurer l’influence de l’œuvre sur le public
Lorsque la censure s’intéresse au style ou aux procédés littéraires de l’œuvre poursuivie, les considérations esthétiques sont-elles des digressions par rapport à l’interprétation idéologique et juridique, ou bien, au contraire, participent-elles à l’argumentation censoriale ? Dans ce cas, on peut se demander si la réussite littéraire sert d’excuse pour permettre une œuvre par ailleurs immorale (par exemple, le concile de Trente autorisant les textes de l’Antiquité classiques malgré leur obscénité « en raison de la propriété et de l’élégance du style ») ; ou bien, au contraire, si les qualités stylistiques servent de circonstance aggravante de la condamnation, dans la mesure où elles rendent l’infraction plus séduisante et donc plus dangereuse.

 

II. Le style de l’analyse censoriale.

Quel style et quelle rhétorique utilisent les censeurs ? Se contentent-ils de procéder à une analyse « technique » ou pseudo-technique, administrative, de simple qualification juridique qui se contenterait de mesurer le degré d’écart ou de conformité entre l’énoncé poursuivi et la doxa de référence, ou bien s’expriment-ils en un style émotionnel, passionnel, d’indignation, de répulsion, de scandale ou encore d’ironie, de mépris, de dérision ? Si la sentence d’interdiction reste dans la plupart des cas « technique », les réquisitoires de procureur ou les rapports de censeurs peuvent adopter des tonalités stylistiques très différentes style administratif, pamphlet, polémique ou satire. Le choix d’un genre plutôt qu’un autre est-il arbitraire ou répond-il à une nécessité rhétorique ou sociale ?

 

III. Les formes de contrôle normatif sur le style

On ne limitera pas la censure aux formes strictement politiques et juridiques de l’encadrement social, mais on réfléchira aussi aux autres exercices de contrôle. Des normes sociales, religieuses, académiques ou éditoriales s’imposent non seulement aux contenus idéologiques, mais aussi, dans la perspective du présent colloque, au style. Le purisme, le bon goût, la « belle écriture », le refus de la vulgarité ou de la facilité, la lisibilité par le public, le primat de la clarté ou bien de l’ornementation, les impératifs esthétiques propres aux écoles littéraires ou à un genre, la ligne éditoriale propre à une collection conduisent les auteurs à pratiquer un certain type d’écriture, et donc à s’interdire d’autres formes d’expression. Si ce type d’entraves est plus une analogie avec la censure qu’un strict interdit, elle peut représenter l’essentiel de l’autocensure et des normes qui s’imposent à l’écrivain dans les sociétés libérales en matière d’expression.

 


(1) Leo Strauss, Persecution and the Art of Writing, Glencoe (Ill.), 1953 ; La Persécution et l’art d’écrire, trad. fr. Olivier Sedeyn, Paris/Tel Aviv, 2003, p. 28.

(2) Robert Darnton, Unkindest Cuts. An Inside History of Censorship, 2014 ; De la censure. Essai d’histoire comparée, trad. fr. Jean-François Sené, Paris, Gallimard, coll. NRF essais, 2014, p. 293.

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