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Prospection géophysique du site Civita di Tricarico
Sylvia ESTIENNE – Collège de France
2013-2014
- Résumé, p1
- Bilan 2013, p2
- Bilan 2014, p3
Bilan 2013
Une prospection géophysique (électrique selon la méthode ARP) a eu lieu sur le site de Civita di Tricarico (Basilicate, province de Matera) en octobre 2013, sur la parcelle cadastrale 14 (propriété privée). La superficie couverte est de 5,7 ha. L’acquisition des données sur le terrain est due à G. Bitella, pour le compte de la société Geocarta. La carte de résistivité à trois profondeurs différentes (v‐1, v‐2, v‐3) a été élaborée à Paris par Geocarta (Michel Dabas).
- Histogrammes des v‐1 – v‐2 – v‐3
- Crédits : Géocarta Paris
Les résultats confirment pleinement, enrichissent et permettent de géoréférencer les indices fournis par deux photographies aériennes (vols 2007‐2008) qui, pour la première fois, révélaient l’existence d’un quartier orthogonal, inédit jusque‐là. Il se situe au sud du vaste plateau (47 ha) sur lequel s’est développé, aux IVe‐IIe s. av. J.‐C., une agglomération lucanienne, la plus grande qu’on connaisse en milieu indigène. Civita di Tricarico a fait l’objet de fouilles (École Française de Rome / Surintendance archéologique de Basilicate) mais celles‐ci ne peuvent concerner que les parcelles publiques. Par conséquent, les résultats obtenus par la prospection constituent l’unique moyen d’obtenir le plan de larges secteurs du site.
On ne reproduit ici que la carte de la voie 3, la plus profonde, qui est particulièrement claire. Au moins 9 édifices apparaissent (Y1‐Y9), organisés en deux files (plus, éventuellement, une file de constructions plus petites, au nord) pour une largeur totale d’env. 55 m et une longueur d’au moins 100 m : donc une superficie minimale de 5500 m2 (mais probablement davantage). Une rue semble séparer les deux files de maisons. Son parcours présente une certaine sinuosité et contraste avec la géométrie rigide des constructions elles‐mêmes. Peut‐être s’agit‐il alors d’une trace postérieure, d’un cheminement qui reprendrait le tracé de la voie antique, mais avec des approximations et des déformations. Quant aux édifices, ils présentent un plan similaire aux maisons fouillées il y a quelques années plus au nord (maison des moules, maison M), à cela près qu’ils s’ouvrent au sud‐est (comme les deux temples connus sur le site). Ce plan, très simple, comprend trois pièces au nord‐ ouest et une pastas (un vestibule transversal, partiellement ouvert en façade) au sud‐est. Les dimensions et les modules sont les mêmes. On comparera les 23,04 x 11,07 m de la maison M (sup. 255 m2), aux 23 x 13,5 m (310 m2) de la nouvelle maison Y1. Les autres maisons sont comparables (Y6 : 18x11 m = 198 m2 ; Y7 : 17x11 m = 187 m2). Les bâtiments sont séparés par d’étroits ambitus (intervalles permettant d’éviter les murs mitoyens) : celui entre Y2 et Y3 est bien visible sur la carte v‐1. Le reste de la parcelle 14 semble libre de constructions, à part deux édifices isolés dans la partie est : Y8 et Y9, ce dernier étroit et allongé dans le sens nord‐sud.
La prospection géophysique révèle donc, à Tricarico, l’existence – jusque‐là insoupçonnée – d’un “quartier” entièrement nouveau. On parlera ici de “quartier” plutôt que de “noyau ”. Le modèle ne paraît pas être en l’occurrence l’agglomération “polynucléaire” ou “polycentrique”, avec plusieurs noyaux indépendants les uns des autres, chacun d’eux gravitant autour d’un pôle qui serait une demeure aristocratique (selon l’interprétation habituelle – et sans doute à revoir dans de nombreux cas). Dans le quartier sud de Tricarico, la logique planimétrique n’est pas centripète, les maisons ne se disposent pas plus ou moins en cercle autour d’une construction plus importante. Elles sont alignées sur au moins deux files, elles font partie d’une trame plus régulière et orthogonale que partout ailleurs à Tricarico. Leur orientation est la même que celle des autres zones bâties du plateau. La typologie des maisons est également la même. Par conséquent, bien qu’ils soient séparés par des zones vides de 100/150 m, les différents secteurs de l’agglomération font partie du même tissu, du même système d’ensemble. C’est pourquoi il vaut mieux parler de « quartiers”. On s’est également demandé si ce “quartier” ne pouvait pas être postérieur au reste de l’agglomération (la prospection géophysique n’étant par définition ni datée ni phasée), voire à la disparition de celle‐ci. Ne pourrait‐il s’agir d’une villa romaine, d’édifices d’époque byzantine ou normande, etc. ? Cette possibilité doit être exclue. Le plan que révèle l’imagerie géophysique est celui d’îlots ou d’un quartier qui répond aux principes de l’urbanisme antique. Par ailleurs, les trouvailles de surface (céramique, monnaies) sont exclusivement hellénistiques. Elles ne sont ni romaines (impériales), ni plus tardives.
En conclusion, on ne peut que souligner à nouveau la régularité du plan – qui, à ce degré, n’a pas son équivalent ailleurs à Civita. Ce fait, ainsi que les bonnes conditions climatiques dans lesquelles s’est déroulée la prospection, expliquent la remarquable lisibilité d’un plan qu’on peut décrire avec précision. En fin de compte, la combinaison des méthodes d’enquête permet de connaître en détail un quartier entier sans recourir à la fouille.