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La mer Noire, IVe-VIIe siècles apr. J.-C.
Colloque international
La fin du monde antique, début d’un ordre nouveau ?
23-25 mars 2015
École normale supérieure
salle 235 B et salle Jean Jaurès
29 rue d’Ulm, 75005 Paris
Depuis le XVIIIe siècle et l’invention du Moyen Âge, on écrit l’histoire en opposant la brillante Antiquité des civilisations méditerranéennes, des polythéismes ouverts et des systèmes politiques laïcs à l’obscurité des siècles dominés par les menaces barbares du Nord et de l’Est, les extrémismes et l’intolérance. Pourtant, il n’y a toujours pas de consensus sur une date de l’écroulement du monde romain, avant 1453 – autrement dit avant la Renaissance ! De fait, dès l’époque augustéenne et au fur et à mesure de la consolidation du christianisme, le monde occidental fut inquiété continuellement par la perspective de sa fin. Le danger des invasions nomades a guetté Rome bien avant l’avènement de son empire. Païens et chrétiens ont toujours partagé la même culture, tout en s’opposant les uns aux autres ainsi qu’à eux-mêmes. Les études actuelles rappellent que ceux qui ont vécu ces siècles troubles ne se sont jamais vus comme des Anciens, des Médiévaux ou des Byzantins : on s’attache désormais à mettre en avant la part du discours rhétorique, philosophique et théologique dans la représentation de la chute de Rome ; on montre l’impact de l’État-nation sur la construction savante des migrations des peuples, venus d’un Orient tout aussi flou que le pays de Gog et de Magog ; on redécouvre que l’on est toujours l’Autre d’un autre. Malgré cette évolution, on reste sous l’emprise du conservatisme historiographique. Ce sont toujours les centres qui attirent les regards. Les périphéries restent dans l’ombre, alors même qu’elles sont parfois derrière les portes de ces capitales. Les frontières modernes définissent toujours des régions qui n’ont pas de relevance pour le passé. Les disciplines académiques traditionnelles déterminent des cadres thématiques, chronologiques et conceptuels qui n’ont pas toujours de sens dans les zones et pour les époques qu’elles ont laissé de côté.
Considérée comme l’une des régions les plus fragiles des empires romain et byzantin, la mer Noire pourrait nous aider à comprendre la fin de l’« antique » et l’avènement du nouvel ordre « byzantin » et à réfléchir à la relativité de nos outils cognitifs. L’intérêt est de saisir l’interdépendance des facteurs militaires, économiques et culturels, dans un cadre géographique qui a joué un rôle important dans l’histoire mais qui reste ignoré par l’historiographie : en effet, malgré l’avancement considérable des études pontiques, aucune publication d’ensemble ne concerne cette région pendant les trois siècles qui ont suivi la fondation de Constantinople, jusqu’à l’abandon de bon nombre de sites portuaires, qui avaient été habités pendant 1500 ans. Les philologues n’ont pas encore publié une édition critique du Périple anonyme attribué au VIe siècle apr. J.-C. à Arrien de Nicomédie, sur lequel s’appuie pourtant toute carte du Pont gréco-romain et byzantin. Les archéologues entassent dans des dépôts les matériaux « tardifs », « romains-byzantins », en attendant le jour où quelqu’un reprendrait le dossier du « déclin barbare ». Or, le céramologue qui voudrait le faire manque de repères ; au final, le géographe et l’historien qui s’intéressent aux rapports à l’environnement et aux mécanismes des changements historiques, sur la longue durée, doivent se rapporter à des sources indirectes, méconnues.
Le but de ce projet est de réunir pour la première fois des philologues et des archéologues, des spécialistes des espaces, des objets et des réseaux d’échanges, des antiquisants et des byzantinistes originaires de France, Allemagne, Italie, Autriche, Danemark, mais aussi de Turquie, Bulgarie, Roumanie, Ukraine, Russie, et de les inviter à réfléchir ensemble aux continuités et aux ruptures dans les pratiques culturelles (religieuses, politiques, militaires et économiques) des populations intra- et extrapontiques, aux transferts culturels comme facteurs identitaires, et à leurs représentations et auto-représentations. L’approche méthodologique commune suggérée aux participants favorise la confrontation critique des données géoarchéologiques, philologiques et historiques. L’objectif n’est pas seulement de créer de nouvelles synthèses : on souhaite une meilleure compréhension du fonctionnement d’une partie de l’œkoumène, dans le contexte des hybridations culturelles qui sont à l’origine des peuples actuels de l’Europe orientale, de leurs attitudes, traditions, rituels. Ainsi, ce projet se veut une contribution au décloisonnement des disciplines philologiques et archéologiques et au renforcement du dialogue entre chercheurs travaillant sur des périodes distinctes (Antiquité et époque byzantine), dans des pays étrangers, avec des méthodes et dans des langues différentes.