Accueil > Manifestations > Colloques, journées d’étude > Colloques 2013-2014 > Vies de savants et éthique des savoirs Pouvoirs du récit biographique dans (...)
Vies de savants et éthique des savoirs
Pouvoirs du récit biographique dans les sciences, XVIe-XXIe s.
Colloque
14 & 15 novembre 2013
École normale supérieure
Colloque organisé par
- Jean-Charles Darmon (CRRLPM - Centre de Recherches sur les Relations entre Philosophie, Littérature et Morale)
- Stéphanie Dupouy (Centre Cavaillès, ENS, et Crephac, Université de Strasbourg)
- Michel Morange (Centre Cavaillès, ENS)
- Caroline Petit (Centre Cavaillès, ENS)
- le Cirphlès (USR 3308 ENS/CNRS)
« L’art, c’est moi, la science c’est nous », disait Claude Bernard. La science est parfois décrite comme une entreprise collective et impersonnelle, où les caractères et les trajectoires individuels de ceux qui font la science ne jouent au mieux qu’un rôle anecdotique. Pourtant, on ne se lasse pas de raconter la vie de ceux qu’on appelle, selon les époques, les « savants », les « hommes de science », ou encore les « scientifiques ». Biographies, autobiographies, éloges académiques, nécrologies, notices encyclopédiques, discours commémoratifs, etc. sont autant de formes prises par ces récits de vie qui, depuis la Renaissance, construisent et popularisent la figure du savant. Les fonctions de ces récits sont diverses : percer à jour et célébrer les héros de la science ; forger des vies exemplaires susceptibles de fédérer et d’inspirer une discipline particulière ou la communauté scientifique dans son ensemble ; légitimer l’entreprise scientifique et en transmettre les valeurs ; la rendre accessible et attrayante pour le profane ou le néophyte ; et dans le cas plus particulier de l’autobiographie, évaluer et défendre sa vie et son œuvre, justifier certains choix de vie intellectuels ou éthiques, ou créer son propre mythe. Qu’ils soient écrits du dehors des sciences ou par les scientifiques eux-mêmes, qu’ils s’adressent au grand public ou à la communauté savante, ces récits biographiques sont des vecteurs importants de la formation et de la diffusion des identités savantes et de la perception des scientifiques par la société.
Ce matériau historique abondant, qui a récemment attiré l’attention des historiens des sciences, peut être exploré de multiples manières. On peut par exemple s’interroger sur la biographie comme genre à pratiquer, c’est-à-dire sur la légitimité et la valeur qu’il convient d’accorder au genre biographique comme forme de l’histoire des sciences, ou encore sur la manière adéquate de raconter la vie d’un homme ou d’une femme de science. On peut aussi s’intéresser au rôle du biographique dans l’histoire des sciences - à la façon dont les sciences s’ancrent dans des vies individuelles, et aux ressources qu’offrent les récits biographiques à qui veut comprendre les sciences. Ce colloque, quant à lui, se propose d’aborder les récits biographiques moins comme des outils que comme des objets de l’histoire des sciences, et en particulier, d’étudier le rôle joué par ces récits dans la constitution de l’ethos savant et dans l’image publique des scientifiques.
Un premier axe du colloque pourrait donc s’intéresser à la manière dont ces récits ont façonné et prescrit l’identitésavante et le mode de vie approprié à l’activité scientifique. Comment ces histoires de vie représentent-elles la subjectivité des hommes et des femmes de sciences ? Quelles vertus intellectuelles et morales leur attribue-t-on ? Comment ces caractères et ces valeurs se transforment-ils au cours de la période considérée ? Comment se négocie dans ces récits la séparation du public et du privé, du citoyen et du savant ? Comment sont conçus au cours du temps les rapports entre le scientifique (détaché ou engagé ?) et la société dans laquelle il vit, et plus généralement où place-t-on la limite entre l’activité scientifique et les autres aspects (psychologiques, religieux, moraux, politiques) de la vie d’un homme ou d’une femme de science ? Quelles stratégies d’auto-présentation et de mise en scène de soi déploient, par exemple, les autobiographies scientifiques ? Comment concilient-elles le récit en première personne et l’effacement de soi supposé requis pour dévoiler la nature ?
Une autre direction de recherche pourrait consister à examiner la place et les effets de ces récits sur la scène culturelle, scientifique et politique. Il conviendrait d’abord de s’interroger sur les rapports entre ces écrits et d’autres formes du récit de vie. Quelles rhétoriques et quels codes spécifiques ces vies scientifiques mobilisent-elles ? Comment le genre traditionnel des « vies des hommes illustres », hérité des doxographes de l’Antiquité, s’est-il par exemple transformé avec l’émergence de la science moderne ? Quelle relation y a-t-il entre biographie de savant et hagiographie ? Entre autobiographie scientifique et autobiographie littéraire ? Une autre piste consisterait à étudier la manière dont ces récits de vie contribuent à la légitimation de la science et de ceux qui la font. On pourrait par exemple explorer les fonctions de ces récits de vie pour la constitution d’une culture propre aux membres d’une même discipline ou à la communauté scientifique dans son ensemble, et se demander dans quelle mesure la professionnalisation de la science a transformé leurs enjeux. On s’intéressera également aux usages de ces récits dans l’espace public et politique. Quel rôle joue la commémoration des savants illustres dans la promotion de la science ? Dans quelle manière les vies scientifiques peuvent-elles être investies par les cérémonies collectives (« panthéonisation ») ou se raconter dans des lieux de mémoire (musées) ? Enfin, à quelles formes d’instrumentalisation politique ces récits biographiques se prêtent-ils ?
Au delà des singularités biographiques de tel ou tel homme ou femme de science, on s’attachera donc ici à repérer dans ces récits de vie des normes communes et des évolutions générales. Que nous disent ces récits sur le fait d’être un savant ou de vivre en scientifique ? Que nous apprennent-ils de l’éthique des savoirs, des règles implicites de la République des sciences, qui informent l’écriture de ces vies ? En quoi nous renseignent-ils, enfin, sur la perception publique de ceux qui font la science ?