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L’invention de la Méditerranée
Repères antiques et médiévaux, héritage renaissant
Colloque
Vendredi 26 et samedi 27 octobre 2012
Université Paris-Sorbonne / École normale supérieure
Organisé par Anca Dan et Jean Trinquier (AOrOc, CNRS-ENS)
La Méditerranée est un thème à la mode. La globalisation et l’approche postcolonialiste du monde en ont fait un sujet privilégié : corrupting sea, structure ou espace de connectivité ou de dissolution, la Méditerranée de Fernand Braudel est devenue le personnage de nombreuses histoires, sur la très longue durée. Les initiatives politiques récentes, liées au Processus de Barcelone - Union pour la Méditerranée, l’ont ramenée dans l’attention des rédacteurs de projets politiques, socioéconomiques et culturels, qui cherchent une légitimation du moderne dans la mémoire du passé. Pendant les derniers mois, la poussée du régionalisme et l’accentuation des conflits civilisationnels ont propulsé cette mer intercontinentale parmi les priorités des media. On s’interroge, une fois de plus, sur les enjeux de l’harmonisation, ou, au contraire, des désaccords qui pourraient marquer les pays riverains pendant les prochaines années. Au-delà des effets, on se demande comment penser cette mer et ses terres limitrophes.
L’idée de cette journée d’études part des exempla anciens et de leur pertinence dans les débats actuels. En effet, à la suite du livre de Peregrine Horden et Nicholas Purcell, « repensé », entre autres, par William Harris, les travaux d’Irad Malkin ont mis sous une lumière nouvelle notre connaissance de l’oekoumène grec. Sensible aux particularités du Moyen Âge, David Abulafia a recentré la discussion sur l’espace maritime en soi, en laissant de côté l’épineux problème des littoraux. Les Romains et leur mare nostrum, pourtant moteur traditionnel des études antiques et même méditerranéennes, sont restés dans l’ombre. Une question importante attend encore des réponses : est-ce les Romains qui ont inventé la Méditerranée, comme on l’a cru aussi longtemps ? Sont-ils les inventeurs d’un concept géographique, d’une Méditerranée en tant que région, avec un centre et des périphéries, avec des forces centrifuges de nature politique, économique, culturelle ?
L’histoire pré-moderne du concept géographique de Méditerranée comprend trois étapes. La première, grecque, s’affirme avec l’expression « μεάλη θάλασσα », symbolisée par les voyages épiques (Héraclès), et détaillée dans les circuits des logographes (Hécatée). On la conceptualise en tant qu’axe structurant le monde habité (chez Platon, Isocrate), juste avant qu’Alexandre ne change l’équilibre gravitationnel de l’hellénisme. La mer par excellence devient alors mer Intérieure, opposée à d’autres mers extérieures (Aristote). Dans un deuxième temps, les Romains héritent de toutes ces traditions à la fois : la Méditerranée est simplement « mare », ou « totum mare » sur lequel l’imperium de Pompée peut s’exercer. Elle est, surtout dans des contextes hellénophones, « mare internum » ou « intestinum ». Les modernes la connaissent comme « mare nostrum », même si, de César jusqu’à l’antiquité tardive, le terme est utilisé plus volontiers dans des contextes savants. Dans tous les cas, il s’agit d’une conséquence logique de la conquête des territoires environnants, avec des implications qui méritent d’être étudiées davantage. Troisièmement, l’invention du nom de Méditerranée (Isidore de Séville) trahit la rupture politique et idéologique de l’orbis. Littéralement, ce nom apparaît lorsque le concept géopolitique n’est plus une réalité effective : c’est le mythe qui naît de l’éloignement de la réalité. Il restera un concept culturel, à travers des redécouvertes successives, jusqu’à nos jours.
Le but de cette journée d’études est de donner un autre type de réponse à la question « qu’est-ce que la Méditerranée romaine ? », en tenant compte, à la fois, des bases solides des travaux sur le Mare Nostrum et des débats actuels. En effet, quelle que fût l’époque sur laquelle portèrent ces derniers, la question de la définition de la Méditerranée a été toujours posée par rapport à une réalité que l’on souhaiterait reconstituer. On n’est guère remonté à certaines causes profondes de ces réalités, pour s’interroger sur la construction mentale de cet espace, en termes de perception et de représentation. Les noms, les formes, les fonctions, en un mot l’impact de la Méditerranée - en tant que concept - sur les Romains, sur leurs initiatives politiques, militaires, économiques, sur leurs productions littéraires et artistiques, seront nos objets d’étude. On a invoqué le déterminisme de la nature sur la culture. On a analysé la continuité et la rupture comme rythme de l’histoire. Une autre piste d’enquête pourrait être celle de la construction mentale et sociale comme principe de la réalité.
Lors de cette journée d’étude, suivie d’une table ronde, des spécialistes de littérature antique et renaissante, d’histoire, d’archéologie et d’histoire de l’art ont donné leur propre réponse à la question de l’invention de la Méditerranée antique et renaissante et au rôle joué par Rome dans ce processus de conceptualisation. Les rapports entre la construction de cette mer dans les sources grecques et latines, antiques et post-antiques ont été abordés : comment ce concept influe-t-il sur les destins humains, sur la vie sociale, politique et économique, sur l’écriture de l’histoire, sur la mémoire des temps révolus ? des faits individuels ou des moments historiques qui peuvent nous éclairer sur l’appropriation mentale de la mer située au coeur du monde habité ont été analysés (quel rôle pour la Méditerranée dans l’idéologie impériale et dans la stratégie de domination oecuménique ? Comment se forment et s’articulent les régions ?) à partir des traces matérielles qui peuvent refléter cette hégémonie : quels sont les signes des changements dans l’approche de la Méditerranée aux différents moments de l’Antiquité ?